Roanne-Mâtel : 5 novembre-23 décembre 1945
Elise Laplace, institutrice à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte ses débuts dans la profession en 1945.
Après un mois d'octobre sans affectation, je reçus un ordre de service pour l'école de filles de Mâtel à Roanne. A l'école, un beau bâtiment des années 30, je fus accueillie par Madame Bost, la directrice, dont mon séjour me révéla les qualités exceptionnelles.
J'étais chargée du Cours préparatoire, classe difficile, à Roanne comme ailleurs, non pas du fait des élèves, une trentaine de petites filles adorables, mais par le contenu de l'enseignement, base de la scolarité, dispensé dans cette classe. Lourd programme : apprendre à lire, écrire, initier au calcul sur la première centaine de nombres.
Ce furent mes vrais débuts de "maîtresse" d'école. Là, je compris le sens profond de cette expression. Maintenant que les maîtresses sont devenues professeures des écoles (je n'arrive pas à m'habituer à cette expression!), entend-on encore une petite fille, les yeux pleins d'affection, dire la main levée "maîtresse"? Quelquefois d'ailleurs, elle se trompait et disait "maman". Je n'échangerais ce titre contre aucun autre même si les dites maîtresses, aujourd'hui toutes retraitées, ont des pensions inférieures de plusieurs centaines d'euros à celles des professeurs des écoles!
Madame Bost m'accueillit donc avec chaleur. Elle ne voulut pas que j'aille m'installer dans un hôtel en attendant de trouver "une chambre". Elle m'offrit ce dont elle disposait et que j'acceptai : une pièce obscure attenant à son bureau, meublée cependant d'un lit, une table, une chaise. Je ne me souviens plus où était le point d'eau. Je m'y endormis si profondément que le lendemain matin, à mon réveil, il était huit heures moins le quart! A midi, une collègue m'emmena au restaurant où elle mangeait, près de l'Arsenal avec des collègues d'autres écoles. En fin d'après midi, sitôt les élèves parties, je préparais le travail du lendemain : journal de classe, modèles d'écriture à tracer sur les cahiers des enfants (en rouge), tableaux des syllabes inscrits au tableau noir. Je suivais scrupuleusement la progression générale établie par la maîtresse en congé. Ce furent de solides béquilles, tant il est vrai qu'en débutant, faute d'avoir sa vision des choses, on adopte celle des autres.
Le soir, Madame Bost venait me chercher pour passer la veillée chez elle, en famille. Outre son mari, ses enfants, deux adolescents Alain et Noël, ses parents vivaient là, deux merveilleuses personnes âgées, deux érudits qui me parlèrent d'une autre de leurs filles que j'avais eu en BS, comme professeur de français, Mademoiselle Bedut. Ils me parlèrent de leur région d'origine, du mouvement scout et surtout, me firent découvrir un poète du Roannais, Louis Mercier. Les soirées passaient comme un rêve.
Une de mes collègues m'ayant trouvé au bout de quelques jours une chambre au Coteau, je m'y installai mais le jeudi après-midi, je continuai à être accueillie chez les Bost. Matin et soir, je faisais une vraie promenade par les quais, le long de la Loire, le trajet le Coteau-Mâtel (Roanne était alors un port fluvial).
C'est dans mon CP que je fus inspectée, pour la première fois, le 12 décembre (13 inspections suivirent jusqu'à ma retraite!). Jour mémorable. J'étais complètement tétanisée, mais l'Inspecteur, Monsieur Royet , me mit tout de suite à l'aise. Je pense que Madame Bost, avec sa bienveillance habituelle, lui avait parlé de moi... Il m'encouragea et me donna force conseils, les bienvenus, avec ce leitmotiv : répétez, répétez, contrôlez tout. Je dois un merci à toutes mes collègues pour ce qu'elles m'ont apporté avec en conclusion un rapport - qui fut un bon départ dans ma carrière naissante- de Monsieur Royet.
Bien des années plus tard, j'ai revu M. et Mme Bost à Marseille où ils s'étaient retirés, près de leur fils Alain, qui hasard merveilleux, était le chef de service de mon amie à l'Inspection académique des Boûches-du-Rhône. Ce fut une rencontre émouvante. L'évocation du passé nous mena à la vision du présent et du futur, avec la visite de la Cité Radieuse de Le Corbusier, où résidait Alain. Comment ne pas être impressionnée par l'école sur le toit, les longs couloirs, la façade vitrée face à la mer. Je fus étonnée par les cuisines en mezzanine sur un séjour-couloir, la douche dans un placard... Vraiment Roanne aura marqué ma vie...
Elise Laplace
Septembre 2015