En classe de neige

Elise Laplace, institutrice à Saint-Etienne et dans les alentours à partir de 1945, raconte ses souvenirs de classes de neige avec ses élèves dans les années 1960-1970.

Fin des années 60, début des années 70, la ville de Saint-Etienne avait pris l'heureuse initiative d'organiser des classes de neige à Gresse-en-Vercors, petit village au pied du Grand Veymont à 1200m d'altitude.

Pendant plusieurs hivers, six classes par groupe de deux (une de filles, une de garçons), y passèrent trois semaines. Chacune, en dehors des repas et des cours de ski pris en commun, ayant des lieux d'hébergement différents, avait son autonomie. Outre les maîtres(ses), un(e) assistant(e) par classe et une infirmière formaient l'encadrement, de service 20 jours sur 20, 24 heures sur 24.

La journée, la matinée et l'après midi, était partagée entre les cours de ski, donnés par des moniteurs de l'ESF et le travail scolaire, en alternance avec une école de la région parisienne. Le samedi et le dimanche, les scolaires laissaient les pistes aux skieurs du week-end. Ces jours-là étaient consacrés à la promenade. Les pistes étant hors du village, c'est à pied que nous nous y rendions, salutaire échauffement avant de chausser les skis. C'était l'heureuse période où aucune voiture ne circulait sur cette route. Pas de danger, pas d'appréhension, les trajets se faisaient dans la gaîté, ce sont des enfants détendus qui pouvaient prendre le remonte-pente, le tire-fesses comme on dit...

C'est au cours d'un des premiers trajets alors que nous regardions un vieux four dans la cour d'une ferme, qu'une petite fille vint me dire en montrant les ruches : " Elles sont grandes les boîtes aux lettres ici!". N'est ce pas Concetta? C'est dire que nous avions un grand champ de découvertes devant nous, à commencer par l'étoile polaire dans le ciel étoilé et les points cardinaux.

Je fus aidée dans l'objet des promenades par une excellente monographie sur Gresse. Il y eut le Mont-Aiguille, une des merveilles du Dauphiné, jugé inaccessible jusqu'à ce que François 1er allant guerroyer en Italie, mandatât des soldats pour le conquérir. Sa forme se retrouve dans le monument aux morts commémorant les évènements de 1944 où périrent 30 Gressots tués dans les combats contre les Allemands ou fusillés.

En promenade, nous allâmes jusqu'au hameau dont les fermes avaient été brûlées par les armées hitlériennes. Le lieu-dit Bram Fam nous livra ses secrets. Là, étaient détenus, isolés, les pestiférés au Moyen-Age. Ils y criaient (bramaient) leur faim (fam). La plus belle visite fut celle qui nous mena chez un berger. Il possédait un troupeau de chèvres aux cornes extraordinaires, longues, épaisses, proches de celles des bouquetins. Je n'en ai jamais vu de semblables. Tout autour nous trouvâmes des empreintes d'ammonites.

Les enfants aiment les histoires d'animaux, et, à la veillée, je leur racontai une légende locale, celle d'un violoneux qui charma les loups avec un violon. Je leur parlai aussi du dernier ours du Vercors tué en 1898 par un berger. On peut le voir naturalisé, au musée de Grenoble, debout sur ses pattes postérieures, haut de deux mètres au moins.

Mais la découverte marquante, nous la dûmes aux moniteurs de ski. Ce jour-là la glace, recouvrant les pistes, rendait le ski de descente impossible. Par des chemins forestiers, à pied ou à ski de fond, ils emmenèrent les enfants vers des lieux plus hospitaliers. Nous eûmes l'incroyable surprise de voir détaler, à plusieurs reprises, des lièvres variables, dans leur pelage d'hiver d'un blanc immaculé.

J'eus la surprise de voir à la fin de l'étude, dans les jours suivants, Myriam (élève du CM1) m'apporter ce texte qu'elle venait d'écrire :

Les lapins blancs

Les lapins blancs

courent dans les champs

Ils jouent comme des enfants.

Qu'ils sont beaux dans la neige!

On dirait de petits ours blancs.

Les sapins couverts de neige

Cachent leurs terriers.

Le ciel bleu, qui

Se couvre de nuages,

Laisse tomber

Des flocons légers

Sur les montagnes,

Petits lapins blancs.

Comment s'étonner qu'il y eût quelques larmes, même si les enfants emportaient bien rangés dans les cartables, les diplômes leur attribuant des étoiles. Quel dommage qu'il n'y ait plus de classe de neige! En trois semaines,"mes" filles ont fait des progrès extraordinaires scolairement parlant.

Près de 45 ans plus tard, lorsque je rencontre l'une ou l'autre (devenue grand-mère), toutes me parlent de Gresse avec enthousiasme. Elles conservent dans leur coeur et la tête un souvenir ému de Gresse qui reste, parenthèse inoubliable, un moment privilégié de leur vie. Je leur rappelle qu'elles chantaient à l'un des moniteurs, plombier hors-saison de ski :

J'suis plombier

Bier, bier, bier

C'est un beau métier

J'fais mon turbin,

Bin, bin, bin

Dans les salles de bain.

Terminons, en chanson, ce long voyage dans le passé, avec ce qu'elles chantonnaient en cachette et que je surpris un jour en entrant inopinément au dortoir :

Elise, Elise et moi

On est heureux comme ça.

... ce qui changeait de Maugara où j'étais "la dirlo", une dirlo redoutée.