C'était avant l'heure allemande : autour de l'école
Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte la vie des enfants dans les années 1930.
Le rythme de l'école primaire n'était pas celui que nous connaissons aujourd'hui. La journée de classe s'étirait de 8h à 11h et de 13h30 à 16h30 (17h30 avec l'étude). 8 h semble une heure bien matinale. Nous vivions à l'heure du GMT, la France était et est toujours dans le fuseau horaire du méridien d'origine O, celui de Greenwich. Ce sont les Allemands qui ont imposé l'heure GM + 1, la leur, à tous les territoires occupés dont la France.
Le jour de congé était le jeudi et on allait à l'école le samedi tout le jour. Les vacances étaient bien moins longues :
- deux jours pour la Toussaint
- deux jours pour Mardi-Gras
- dix jours pour Noël
- dix jours pour Pâques
- du 31 juillet au 1er octobre (vacances dites d'été)
Que faisaient les enfants pendant ces journées ?
Les mamans faisaient leur lessive le jeudi, puisque, ce jour là, elles pouvaient charger les grands de surveiller les petits pendant qu'elles allaient à la buanderie. Les plus chanceux, des garçons en général, allaient au patronage. Les "patros" comme ils disaient, laïcs ou confessionnels, leur organisaient des activités.
Les vacances d'été, les "grandes vacances", étaient plus préoccupantes. Les enfants restaient malgré tout dans l'air vicié de la ville, sauf ceux qui partaient faire les bergers dans les fermes de la Haute-Loire, département dont bien des Stéphanois étaient originaires. S'ils n'étaient pas toujours très heureux au moins respiraient-ils le grand air et mangeaient-ils à leur faim. Souvent, des bergers ou bergères menaient paître leurs troupeaux dans le même secteur. Ils brisaient vite leur solitude en jouant. Au moment de rentrer, si les vaches étaient encore dans le pré à brouter, les chèvres avaient fait la belle dans les genêts, les rochers, même sur la voie ferrée. De toutes parts, on entendait les bergers crier : "Bouqui va vene, vene" (orthographe non garantie!) et les chiens aboyer. Tout finissait par rentrer dans l'ordre et on regagnait la ferme.
Un petit nombre d'enfants partaient avec l'oeuvre des "enfants à la montagne". C'est un pasteur au grand coeur, le pasteur Comte, ému par la situation préoccupante des familles ouvrières, qui l'avait créée.
Les enfants, en petit nombre au début (début que je n'ai pas connu), étaient placés pour 45 jours dans des familles d'accueil protestantes (des fermiers) qui étaient contrôlées deux fois par semaine, pour vérifier en particulier, si les enfants ne travaillaient pas. Les parents ne payaient que 15 jours pour le séjour, l'organisation payait le reste. Les lieux de séjour étaient situés sur le plateau cévénol. C'est ainsi que mon père séjourna à Saint-André-en-Vivarais, près de Saint-Agrève. Le train les amenait à la gare la plus proche où un char tiré par de solides chevaux venait les chercher. Sur la fin de sa vie, mon père me demanda de le mener revoir le village de ses seules vacances d'enfant. Les quatre chevaux-vapeur furent moins extraordinaires et marquants que les chevaux-picotin.
Cette "oeuvre" du pasteur Comte donna naissance à bien des initiatives. Dès 1927 la ville de Saint-Etienne ouvrit deux colonies, l'une pour les garçons à Montbarnier, l'autre pour les filles au col de Pavezin. D'autres organismes suivirent l'exemple.
Savez-vous qu'il existe à Saint-Etienne, en-dessous du Musée d'art et d'industrie, une place Louis Comte sur laquelle un monument en l'honneur de cet homme a été élevé ? Une petite visite me semble s'imposer.
Le plateau cévenol n'a rien perdu de sa réputation de terre d'accueil. Il a protégé en 1937 les enfants espagnols chassés par les bombardements allemands et italiens, accueillis à leur arrivée par la CGT de Saint-Etienne et la Ville qui mit Montbarnier à leur disposition. D'autres convois suivirent et des enfants furent placés dans des familles d'accueil. Aux Espagnols succédèrent les enfants juifs, des résistants, des Hongrois, des Chiliens etc...
Revenons aux vacances des enfants. Il y eut enfin ceux dont je faisais partie, qui passaient les vacances chez des parents. Ainsi, j'eus le privilège rare de vivre à Saint-Tropez, alors petit village tranquille. Colette, Matisse, Derain, Signac ne déplaçaient pas les masses et il n'y avait pas de congés payés. Pensez que nous étions seuls sur la plage des Salins! La place des Lices n'était pas le boulodrome de la société "m'as-tu-vu".
Je me dois de rappeler que nous vivons toujours à l'heure allemande, même si l'horaire d'été est passé de GM+1 à GM +2 , à l'époque, les paysans ont boycotté GM+1 restant à GM 0 pour ne pas changer les habitudes des animaux!