Roger Rocher : une figure emblématique de l'épopée stéphanoise

Pascal Charroin, maître de conférences, département STAPS-université Jean Monnet de Saint-Etienne, chercheur CRIS-université Claude Bernard Lyon 1

Roger Rocher, l'ancien Président de l'AS Saint-Étienne, décède le 29 mars 1997 à l'âge de 77 ans. Son enterrement se déroule le 2 avril 1997 à Saint-Galmier, petite commune voisine de la cité forézienne. Jouissant d'une notoriété sans faille, une foule énorme vient assister à ses obsèques. Un plan de circulation est mis en place dans la ville. Des milliers de messages de sympathie parviennent à la famille et un registre de condoléances est ouvert sur un site internet. Des personnalités du monde sportif, économique et politique viennent lui rendre un dernier hommage. À la sortie de l'église, une banderole est installée par les fans sur laquelle on peut lire : "Vous êtes gravé dans le coeur de Saint-Étienne et de ses supporters à jamais". Son cercueil est orné de la Palme de la Légion d'Honneur et de la Croix de l'Ordre National du Mérite. À la sortie du corps, le vibrant : "Non, je ne regrette rien" d'Édith Piaf donne une très forte intensité au recueillement(1).

Comment se fait-il, compte tenu du scandale de la caisse noire qui a entravé la fin de sa vie, que cet homme soit resté aussi populaire ? Répondre à cette question, c'est essayer de comprendre comment Roger Rocher a pu susciter une telle émotion auprès de la population. Sans doute le parcours sportif de l'ASSE n'est pas étranger à cela. Président de 1961 à 1982, il fut l'homme de l'épopée européenne du club et de ses vingt titres(2). Mais nous verrons que cet engouement semble tenir au moins autant à des manières de faire qu'à des résultats objectifs. L'histoire de ce personnage à multiples facettes (casquettes), qui est parvenu à échafauder une pyramide sportive, économique, politique et culturelle(3) en maîtrisant parfaitement les contours et les enjeux symboliques et matériels de ces différents champs(4), a toujours conservé ses racines. En effet, sa trajectoire sociale et son appartenance à la nouvelle éliten'ont pas été chez lui synonymes d'abandon des stigmates locaux. Les Stéphanois appréciaient son accent "gaga"(5), ses "coups de gueule" légendaires, la facilité avec laquelle il se mêlait à la foule, tout comme son caractère bourru et autoritaire. D'autre part, au plan sportif, il incarnait l'idéal type du dirigeant paternaliste, comme nous allons pouvoir le mesurer au travers de l'étude des trois tranches de la vie de cet homme : la période ouvrière, ascétique, puis dictatoriale.

Article tiré de :

CHARROIN (Pascal), "Roger Rocher Une figure emblématique de 'l'épopée stéphanoise'", in DELAPLACE (Jean-Michel) (sous la Direction de.), L'histoire du sport. L'histoire des sportifs, le sportif, l'entraîneur, le dirigeant 19ème et 20ème siècles, Paris et Montréal, L'Harmattan, 1999, p. 215-229. (coll. Espaces et Temps du Sport.).