Quartier de la Mulatière

Une chronique extra-vagante de François Maguin.

François Maguin a toujours habité Saint-Étienne. Cet opiniâtre dilettante aime à s'y promener et à en traquer les mystères. Dans ses textes courts, il chronique éblouissements modestes, anecdotes plus ou moins véridiques ou rencontres inopinées. Cette prose, entre rêve et réalité, invite les lecteurs à poser un autre regard sur le quotidien et à approcher toute la magie qui s'y dissimule.

 

Lundi 9 juin 2014

Il faudra bien du courage et de l’opiniâtreté aux promoteurs qui souhaiteront réhabiliter le quartier de la Mulatière. Cet îlot cache ses maisons délabrées, ses commerces désolés et ses couloirs humides dans les cinq rues aux dimensions modestes qui s’étendent entre les espaces aérés des places Villebœuf et Chavanelle. Pourtant ces voies invitent à parcourir un passé stéphanois haut en couleurs. En tendant l’oreille, on peut percevoir les sonnailles des mules, qui se regroupaient là, pour former leurs caravanes vers Le Puy ou Bordeaux. On y sent la puissante odeur de leur crottin et, dans les cours, où se cachent cabarets et auberges, retentissent les cris éraillés et les jurons sonores des charretiers. Parfois, on croit croiser un parent, armurier de son état, un faisceau de canons sur l’épaule, qui se hâte vers un atelier ami pour y monter ses fusils et faire les yeux doux à la fille du patron qui sera bientôt notre aïeule.

Dans ce décor presque inchangé depuis un siècle, sur une borne, s’affiche depuis quelques jours, en hommage aux « bonhommes » de 14-18, sur fond bleu-horizon, une humble « corvée de pinard ». Hommage pervers ? Dénonciation pacifiste ? Simple naïveté ? Est-il conscient, cet artiste anonyme, que son œuvre s’étale rue de l’Épreuve ?