Mes débuts dans la vie

Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte ses souvenirs scolaires jusqu'à son entrée dans la profession.

Née en 1925, j'ai vécu sous l'occupation allemande, les sombres années vert-de-gris, mais j'ai connu aussi le début des années de lumière, le temps des cerises, symbole d'un renouveau plein de promesses.

A ma naissance, mon père travaillait aux Aciéries de la marine à Saint-Chamond. Ma mère et ma grand-mère tenaient une épicerie-restaurant à Izieux. J'avais neuf mois quand mes parents sont devenus Stéphanois. C'est une épicerie-buvette qui devint notre cadre de vie. Neuf ans plus tard, à la naissance de ma soeur, la famille emménagea rue Saint-Roch, devenue Antoine Durafour. Mon père venait d'intégrer la Manufacture Nationale d'armes.

J'ai vécu toute ma scolarité, à Saint-Etienne, dans l'enseignement public :

  • de 1928 à 1931 à l'école maternelle rue des Francs-Maçons.
  • puis ce fut l'école de filles du cours Fauriel CP-CE1-CE2-CM1 en partie, terminé à l'école de filles de la rue Barra, où j'achevai ma scolarité primaire élémentaire, en 1937, après avoir terminé le CM1, suivi le CM2 et ce qui n'existe plus, le Cours supérieur.

Nous habitions alors rue de Roanne, aujourd'hui rue Bergson. Je passai ensuite sept années à l'Ecole Primaire supérieure, rue Rouget-de-Lisle, d'où je sortis munie du Brevet Supérieur Institutrices qui accordait en même temps l'écrit et l'oral du Certificat d'aptitude pédagogique et permettait de postuler pour un poste d'institutrice suppléante, auprès de l'Inspection académique.

Le 26 mai 1944 nous attendions, dans la cour de l'EPS, les résultats de l'examen. A 10 heures, les sirènes retentirent : alerte aérienne! Une nuée de forteresses volantes américaines approchait de Saint-Etienne. Sans crainte particulière, nous descendîmes dans les caves, avec les autres élèves. Nous bavardions tranquillement quand, à 10h17, ce fut un bruit épouvantable, fait du vrombissement des moteurs et du fracas des bombes qui éclataient. Quand je pense aux 1 000 morts dont 30 à l'école de Tardy, autant dans l'église de Monthieu, aux 1 500 blessés, aux 20 000 sinistrés, j'ai encore du ressentiment contre les Américains. Je revois tous les cercueils alignés dans un local de ce qui s'appelait alors l'Ecole professionnelle de garçons rue de Fontainebleau, aujourd'hui Etienne Mimard.

Comme Aragon

"Je n'oublierai jamais les lilas et les roses
Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés"

Les jours suivants, j'allai aider à la cuisine de l'hôpital de Bellevue où le personnel était débordé, puis travailler à la réception des télégrammes, à la Poste, où, malgré soi, on partageait l'angoisse et hélas le deuil des familles. C'était poignant. Et dire que cet exploit américain pour empêcher les Allemands de circuler, interrompit le trafic ferroviaire pendant deux jours ! Beau sujet de gloire!

Quelques jours plus tard, munie de mon sésame, je déposais ma demande de suppléance.

Elise Laplace

Août 2015