Les plaisirs démodés... des beaux jours d'autrefois

Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte ses souvenirs d'enfance.

Le dimanche matin, on pouvait voir sur les trottoirs du cours Victor Hugo, devant les Halles, poules, coqs, poussins ou toute autre volaille, lapins dans des cages, que des producteurs professionnels ou amateurs proposaient à la vente. Acheteurs, curieux, enfants allaient d'un marchand à l'autre, admiratifs, étonnés, ils s'attardaient pour marchander, acheter, ou simplement, le plaisir des yeux, ou respirer l'odeur des bouquets de menthe, de persil posés dans des paniers, à même le sol.

Mais c'est place Dorian que l'on se bousculait. Là, on trouvait des chiots, des chatons et des canaris dans de petites cages. Dans la plupart des foyers stéphanois, il y avait des canaris. C'était l'oiseau fétiche de la région, le compagnon des mineurs de fond qu'il accompagnait dans les galeries de la mine. Il avait le pouvoir de détecter la moindre secousse, et son agitation, son pépiement ont alerté bien des mineurs et sauvé bien des vies. Nous en avions deux à la maison. C'était une joie des yeux et des oreilles. Un soir, ils eurent un comportement bizarre. Ils se mirent à s'agiter et à piailler. Nous apprîmes le lendemain qu'il y avait eu une légère secousse sismique que nous n'avions pas ressentie.

Place des Ursules, près des Halles, se tenait l'après-midi un marché. Pas de parking, pas de magasins, mais des marchands avec "leurs bancs" surmontés d'un tissu de toile blanche. On y vendait du tissu, des vêtements, des chaussures, de la quincaillerie.... mais surtout, un marchand avait un étal merveilleux pour les petites filles. Dans la sciure... était caché l'objet de leur convoitise : bague, bracelet, collier, des bijoux à leurs yeux! Quelle volupté de remuer la sciure et d'y trouver l'objet de leur convoitise qui les faisait rêver des jours durant! Comme ce n'était pas cher, les mamans cédaient volontiers!!

Mais le jour espéré entre tous était sans équivoque Mardi-Gras! C'était un jour exceptionnel. De nombreux enfants se déguisaient, ou portaient qui un masque, qui une coiffure en papier crépon.

Ainsi apprêtés, les carnavaliers accompagnés des mamans se retrouvaient dans la grande-rue, entre la place Marengo et la place Badouillère. Tout le long du parcours, des marchands proposaient des sacs de confettis parfois énormes. Comme ce n'était pas cher, les batailles faisaient rage, que l'on connût ou non l'adversaire. Parfois, ceux qui étaient à court de munitions ramassaient les confettis sur le sol, tant la couche était épaisse. Par endroits, elle atteignait presque la hauteur du trottoir. La nuit tombait vite à cette époque et, lorsque les mamans pensaient avoir assez dépensé pour les confettis, on rentrait à la maison. La fête y continuait! On avait gardé quelques confettis pour le papa ou la grand-mère! Et c'était, en pouffant de rire, qu'en quittant ses vêtements on parsemait le sol de petits disques multicolores. C'était comme si la fête continuait! D'autant plus qu'on se régalait de crêpes ou de "bugnes".

Mais, hélas, on pouvait chanter

" Mardi-Gras ne t'en va pas
Je ferai des crêpes"...

... il faudrait attendre son retour pendant un an.

Heureusement, il y avait la vogue que l'on trouvait plusieurs fois dans l'année, en des lieux divers. La plus importante se situait place Carnot. Là, les forains avaient installé leurs baraques : loteries, tirs, confiseries et leurs manèges. Il y avait principalement les chevaux de bois. Les enfants tournaient, perchés sur leurs destriers, au son des chansons de l'époque. Le manège ne désemplissait pas! On retrouve cette attraction, parfois, de nos jours. Un bonhomme articulé rythme toujours les airs anciens. Mais le manège vedette des adolescents a disparu : les chaises volantes (pourquoi à Saint-Etienne disait-on cake-walk?). Il s'agissait de sièges fixés au toit du manège par quatre chaînes. Lorsque le manège se mettait à tourner, les sièges étaient projetés vers l'extérieur, un peu plus haut à chaque tour, dans les hurlements des participants! C'est l'ancêtre des manèges de vitesse qui se multiplient dans les parcs d'attractions où il continue à tourner. Les tours de manège effectués, on allait acheter "une chique" ou voir, sans entrer, les baraques qui exposaient des curiosités.

Le mois de mai amenait les communions solennelles ou premières communions. Les garçons, en costume bleu marine à culotte courte - souvent le premier costume de leur vie - portaient fièrement au bras gauche un long brassard plus ou moins ouvragé. Les filles avaient revêtu de vraies tenues de mariée : longue robe blanche ouvragée, ceinturée par une aumonière, tout aussi travaillée, et un long voile jusqu'aux chevilles fixé sur la tête, souvent, par une couronne de fleurs, en mousseline blanche. Tous portaient des gants blancs. Ils tenaient à la main le missel qui leur avait été offert et étaient fiers de la montre qui ornait leur poignet. C'était un joli spectacle de les voir, en compagnie de leurs mères endimanchées, entrer dans l'église pour la messe du matin et les vêpres de l'après-midi.

La première communion était le prétexte de festivités familiales. Après le repas, véritable banquet, on remettait aux membres de la famille, qui tous avaient fait un cadeau, des images pieuses sur lesquelles figuraient le nom de l'enfant et la date de la cérémonie.

Un équipage singulier qui ne passait pas inaperçu hantait les places et les rues du centre ville, en particulier la place Dorian le dimanche matin. Un gros chien, patou des Pyrénées ou Saint-Bernard alpin, je ne sais plus, était attelé à la petite charrette d'un marchand de bonbons. "Bonbons des Alpes" disait-il. Sans doute s'agissait-il des "bourgeons de sapin". Avec son grand chapeau de feutre, il attirait la sympathie.

Il y avait aussi, le dimanche matin, des militants du Parti communiste qui vendaient leur journal l'Humanité à la criée. Triple plaisir : de la vente pour le bénévole, pour celui qui allait lire et pour les enfants de celui-ci qui se délectaient avec les aventures de "Charlot-chat", c'était le plaisir de la lecture.