Et 1936 arriva...

Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte ses vacances d'enfance.

...Avec le Front populaire et son cortège de lois sociales dont la semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés. Pour la première fois les travailleurs allaient, pendant 15 jours, oublier l'appel des sirènes des usines et les mineurs laisser la lampe à la lampisterie.

La presse écrite raconte que l'on se précipita vers les trains en partance pour la Côte d'Azur. Il ne semble pas que de nombreux Stéphanois aient été véhiculés sur la ligne PLM (Paris-Lyon-Marseille). La Côte d'Azur était loin! Il a fallu des dizaines d'années à ma mère pour entendre chanter les cigales. Elle fut d'ailleurs fort déçue : quoi ? Un chant, ça! De nombreux Stéphanois restaient chez eux à passer deux semaines tranquilles : repos, promenades. Le soir venu, après avoir écouté les informations (la radio était encore à ses débuts), la famille, une chaise et un "bichon" de terre vernissé à la main, allait s'installer avec les voisins sur le trottoir, pour discuter, profiter du soir, et manger la soupe contenue dans le "bichon", en toute convivialité. C'était, tous les jours, la fête des voisins!

Ceux qui possédaient des jardins à la périphérie de la ville y passaient la journée, sur le seuil des cabanes aménagées qu'ils avaient bâties, ils se reposaient après le jardinage, tandis que les femmes tricotaient et que les enfants jouaient avec les petits voisins. La famille ne rentrait que tard le soir, avant la tombée de la nuit, après le souper. Nombre de ceux qui étaient originaires de la Haute-Loire, allaient aider les parents aux travaux des champs. Les enfants, munis de râteau, récupéraient le foin tombé des chars, ou glanaient les épis oubliés lors de la fabrication des gerbes. Mais surtout, ils couraient entre les genêts en fleurs ou allaient, dans une petite rivière, pêcher les vairons qui y abondaient. Ils avaient parfois la chance de pouvoir profiter des airelles et des framboises dans les bois. Que dire du lait bourru?

Il y eut des jeunes qui s'évadèrent vers d'autres horizons. Ils allaient camper -jamais bien loin- à vélo; le matériel : tente canadienne à deux places, vaisselle en métal (il n'y avait pas de plastique à l'époque), petit réchaud était entassé dans des sacs à dos, sur le porte-bagages, dans des sacoches. Leur destination n'était jamais très lointaine. J'ai longtemps été en possession d'une carte postale expédiée de Pont-de-Lignon. On était si fier, d'être parti qu'on le faisait savoir. Dire qu'aujourd'hui, on va aux Antilles, d'où on revient fatigué par le voyage et le décalage horaire!

Enfin, il y eut ceux qui louaient une pièce sommairement meublée, dans les environs de Saint-Etienne. Les bords de Loire : Andrézieux, Aurec, Saint-Just-sur-Loire, Saint-Rambert-les-Barques, étaient les destinations privilégiées. La location ne se faisait pas à la semaine mais au mois. En général on louait pour deux mois. Pendant leurs congés, les pères, souvent, passaient la journée à la pêche. Quelquefois, ils accompagnaient la famille, l'après-midi, à la baignade à moins qu'il n'y eût un tournoi de joutes. Les congés finis, ils rentraient à Saint-Etienne, mais les cars, ayant un service bien adapté et la semaine de 40 heures ayant libéré le samedi, le vendredi soir, ils venaient passer la fin de la semaine avec leur famille.

La pêche reprenait ses droits et les repas s'amélioraient avec les fritures de goujons, d'ablettes, de chevesnes, de gardons ou les barbeaux en mayonnaise. Le dessert était fourni par les mûres que l'on trouvait en abondance, sous les grands arbres, le long de la Loire. Les enfants revenaient de la cueillette barbouillés à souhait. Il me semble, dans mon souvenir, qu'il faisait toujours beau et que je n'aie pas manqué, aux Barques, un après midi à la plage des Muats aujourd'hui interdite, barrage oblige, où mon père m'apprit à nager. Quand le chef de famille n'était pas là, on allait "faire les commissions" à l'Union des Travailleurs ou acheter les légumes chez les maraîchers. Souvent, on passait près des champs où les pommes de terre avaient été arrachées. La "grenaille"- qui coûte si cher aujourd'hui- avait été délaissée pour notre bonheur!

C'étaient des jours heureux, mais, pour moi, ils ont sonné le glas de mes vacances à Saint-Tropez, ce Saint-Tropez qui a marqué ma vie. Je ne devais jamais plus revoir ce vieux Tropézien et son puits enfoui sous un énorme figuier où nous allions puiser l'eau fraîche, dans une cruche en terre. Aux Barques, il n'y avait pas l'eau courante dans notre location. On allait la chercher au "bachat" dans lequel l'eau arrivait par une "goulotte". Mon cousin qui venait passer ses vacances avec nous regrettait lui aussi Saint-Tropez, les pentes de la Citadelle où il s'amusait avec son ami Georges Bain qui allait devenir le patron du café des Platanes de la place des Lices (où il jouera à la pétanque avec les gens du monde du spectacle). Il trouvait aussi que les galets des Muats ne valaient pas le sable chaud de la Bouillabaisse, où, déjà, on vendait des verres d'eau glacée à prix d'or, tandis que, prémices de l'avenir, le "Latitude 43" était sorti de terre.

Elise Laplace

Août 2015