Une si longue absence
Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte sa vie pendant la guerre.
A Saint-Etienne comme partout en France, dans de nombreuses familles, les préoccupations matérielles étaient moins angoissantes que celles de l'absence. Tant de chaises restaient vides autour de la table familiale!
Il y avait celles, à jamais inoccupées, des victimes de la guerre : militaires tombés dans leur uniforme de soldat, civils tués dans les bombardements, fusillés par les Allemands ou la Milice, que l'on retrouvait, au petit matin, dans un fossé ou au détour d'une route.
Il y avait celles des évadés de France, partis rejoindre, en Algérie ou en Angleterre, les Forces françaises libres, celles d'hommes ou de femmes qui avaient dû fuir leur domicile : les combattants de l'ombre, les maquisards qui sortaient de leurs repaires, pour des coups de main contre les occupants, ou recevoir les parachutes britanniques...
Il y avait celles des déportés : Résistants politiques, Juifs, expédiés en Allemagne, dans des wagons à bestiaux, hermétiquement fermés. On ne savait pas ce qu'ils étaient devenus (dans l'ensemble on ne connaissait pas l'existence des camps de concentration).
La plupart d'entre eux, hommes, femmes, enfants, ne revinrent pas, morts de faim, d'épuisement, de maladies, de sévices ou partis en fumée.
Il y avait celles, depuis le printemps de 1940, des prisonniers qui vivaient, en Allemagne, leur captivité dans les "stalags" ou les "oflags". De temps en temps, avec parcimonie, arrivait une lettre, si l'on peut appeler lettre, le formulaire que leur délivrait l'administration allemande, texte écrit au crayon, le seul outil d'écriture dont disposaient les prisonniers.
Comme la censure passait par là, on employait des métaphores pour glisser des messages (orage = bombardement sur la lettre ci-jointe).
Ces hommes restèrent cinq ans derrière les barbelés et les miradors, dans les baraquements jusqu'à ce que les armées alliées les libèrent en 1945. Mais une si longue absence avait brisé bien des couples.
Il y avait enfin celles des STO qui, requis, étaient partis travailler dans les usines, en Allemagne. Beaucoup avaient regagné la clandestinité ou le maquis pour ne pas collaborer au sens propre du mot.